Abstract
Cet article examine la pertinence philosophique de ce qu’on appelle la « question juive » et ses multiples réponses selon Leo Strauss et Emmanuel Levinas, mais aussi selon Hermann Cohen et Jean-Paul Sartre, comme un site métonymique qui permet d’interroger la condition humaine dans son ensemble. Strauss affirme notamment que sa préoccupation pour cette question aura été à la racine de toute sa pensée, lui fournissant la voie d’accès à son souci principal de déconstruction des présupposés théologico-politiques de la modernité, en restituant l’alternative épistémique fondamentale entre raison « athénienne » et révélation « jérusalémite ». Chez lui, l’idée même de « tolérance », telle qu’un Locke l’aurait léguée à la modernité libérale, ne peut qu’être une solution provisoire et insatisfaisante à cette question, car elle nécessite qu’on ait déjà tranché en faveur de la « raison », et donc exclu le contenu de la Révélation. Chez Levinas, en revanche, nous voyons la possibilité d’une synthèse entre la promesse prophétique et sa réalisation rationnelle que Strauss récuse totalement. Chez les deux penseurs, c’est finalement l’hésitation entre solutions sioniste et républicaine/libérale assimilationniste à la « question juive » qui révèle l’importance à leurs yeux de cette question pour une phénoménologie de la raison et de la révélation.