Abstract
On s'étonne que l'antithèse récit-histoire, telle qu'elle est élaborée dans la Poétique d'Aristote, soit exclue du débat sur le narrativisme. Bien que dans Temps et récit Paul Ricœur détermine la notion de récit d'après la conception aristotélicienne du poème, les passages concernant cette antithèse se trouvent chez lui neutralisés ou simplement passés sous silence. Cet article reprend et défend l'opposition des deux discours. Le poème mime une action : un changement fondé dans la nature des choses ou déterminé par un projet, et de ce fait „possible” et intelligible. L'histoire , au contraire, prend pour sujet ce qui se passe de fait. L'historien s'occupe de „ce qui se noue”, du „confluant” (to sumbainon/quod contingit), du „réel” qu'on ne peut pas „voir d'un coup d'œil”. L'historien traite du contingent — de ce qui „se touche”. Il examine l'intrinsèquement inintelligible. Sa recherche ne concerne pas les objets construits au moyen d'une théorie dont la science dite normale peut faire une description exhaustive et définitive. La matière historique n'est pas définie conceptuellement, mais à l'aide d' „indexicals”, des éléments indicatifs (noms, dates...), non construits à l'aide d'une théorie et qu'on ne peut déduire de lois où de règles. Il s'ensuit que le contingent ne peut devenir un véritable objet ait recherche, et qu'une explication scientifique du „temps des hommes” est impossible. Le travail de l'historien résulte dans une périodisation du contingent. L'historien s'applique à développer une pensée ou une „période” (visite d'inspection, tour d'horizon et de reconnaissance, parcours jalonné) qui ne doit pas sa compréhensibilité à sa matière et où le contingent, échappant à toute tentative synoptique ou de mémorisation, est identifié et caractérisé. La période ou le texte historique, faisant fonction de topique ou lieu de la mémoire, rend le contingent à la mémoire et à la compréhension