Abstract
Dans The Elements of Drawing, le célèbre critique d’art anglais John Ruskin endosse le rôle de professeur pour livrer, en trois longues lettres adressées aux débutants, son enseignement sur l’art du dessin. De cet ouvrage hybride, mêlant exercices, observations sur les couleurs, commentaires de peintures et descriptions lyriques de la nature, la postérité retiendra principalement un court passage sur la formation de la perception. Dans une note de bas de page du premier chapitre, Ruskin nous dit en effet que « toute la force de la technique picturale dépend de la possibilité pour nous de retrouver ce que nous pourrions appeler l’innocence de l’œil ». Cette note célèbre a fait l’objet de nombreux commentaires (chez E. Gombrich et N. Goodman notamment), qui viennent discuter, et souvent réfuter, la possibilité d’un regard vierge. À rebours des lectures de surplomb qui autonomisent ce passage et le transforment en « théorie », nous proposons de revenir au texte de Ruskin en pensant l’innocence de l’œil dans son articulation singulière et fondatrice aux exercices qui l’accompagnent. L’hypothèse que nous soumettons est la suivante : c’est l’exercice, dans sa conduite réitérée, qui permet de comprendre le sens de l’innocence perceptive. Bien loin d’un apprentissage scolaire, l’exercice du regard engage chez Ruskin une manière d’être au monde.