Abstract
Cet article examine le fragment de l’homme-mesure de Protagoras, tout d’abord en exposant les grands courants de son interprétation, ensuite et surtout en présentant les positions respectives et antagonistes de Nietzsche et Heidegger. Heidegger, contre Nietzsche, fait reposer l’homo-mensura sur un arrière-fond ontologique et platonicien, où la mesure n’est possible que depuis l’ouverture ontologique qui la précède. Cette interprétation a sa légitimité historique et philologique. Mais Nietzsche comprend le fragment comme entièrement irréductible au platonisme : Protagoras (et son frère de pensée Thucydide) aurait pensé la connaissance comme l’étude de types psychologiques, non pas selon une norme épistémique stable, mais selon les variations d’intensité qui touchent toute psychè mais aussi toute communauté sociale. Je prends appui sur cette dernière intuition pour dégager ce qui me semble l’interprétation la plus riche du fragment de l’homme-mesure, à partir des remarques d’Eugène Dupréel – une interprétation sociale et normative où Protagoras est le penseur d’une praxis (la médecine, la politique…) qui, dans une situation et dans une communauté données, est capable d’améliorer les impressions subjectives du plus grand nombre.