Abstract
Mise radicalement en question par l'accusation de l'épître aux Corinthiens : „La sagesse du monde est folie devant Dieu.” (I Cor. 3,19), la raison humaine doit chercher une méthode, qui lui permettra de parvenir à une conscience de soi, capable d'assumer cette accusation. Cette méthode ne peut être que la réflexion, à laquelle les protagonistes de la phénoménologie, aussi bien que ceux de l'analyse reflexive, font appel. Thévenaz entamera une étude approfondie et critique de ces deux méthodes pour en garder ce qui lui semble valable. Ce faisant il parviendra à une position intermédiaire. Husserl, en épistémologue, ignorant toute conscience de soi, même implicite, reconnaît l'inténtionnalité comme structure unique de la raison humaine. Aussi, pour découvrir et expliciter le sujet concret et intentionnellement lié au monde, il ne lui reste que la solution de projeter cette liaison dans le champ transcendantal, qui se déploie sous les yeux d'un spectateur impartial. Ainsi surgit une nouvelle facticité qui reste nécessairement irréfléchie. Thévenaz accepte volontiers les avantages de cette méthode. Non seulement elle permet de dépasser l'opposition idéalisme-réalisme, mais en plus elle échappe au formalisme kantien, en nous livrant le concret comme tel, le vécu, l'être comme rencontre. Cependant, en insistant exclusivement sur l'intentionnalité, elle met en question cette même intentionnalité. Le sujet concret, doublure du moi transcendantal et intentionnel, redevient ce qu'il était avant la réduction, un oeil sans intériorité braqué sur un nouveau spectacle, le champ transcendantal. Le sujet concret n'y apporte aucun apport constitutif. Le concret s'échappe à nouveau et la naïveté de la „natürliche Einstellung” n'est pas vaincue, mais consacrée. Sartre, quoiqu'il admette une conscience (de) soi, résultant d'un acte de néantisation radicale, se heurte à la même difficulté. Le sujet concret échappe à la réflexion à cause du dédoublement inéluctable inhérent à cette réflexion, qui ne peut être qu'un changement d'intention. Le sujet devient un vide total, un néant sans „je”. La phénoménologie n'a donc pas la possibilité d'atteindre le sujet comme sujet. Elle a une conception insuffisante de la réflexion et l'autisme de la raison-juge suprême n'est pas brisé. Pour y remédier. Thévenaz se tourne vers la réflexion de Descartes. En effet, le cogito des premières méditations ne doit pas être compris comme une intention qui se dirige vers la conscience en excluant le monde et le corps propre. Ce n'est rien d'autre, au contraire, que l'épanouissement de la conscience de soi implicite, impliquée en tout acte humain, vers une conscience de soi explicite dans l'acte même de l'attention. Il n'est donc pas question d'un dédoublement du sujet. Cette conscience de soi se crée et s'intensifie à travers un effort continu de réflexion. Ainsi l'intériorité et l'unité initiales du moi s'enrichissent continuellement sans pourtant quitter l'actualité. Il ne s'agit pas d'un processus d'abstraction, mais plutôt d'une prise de conscience du moi concret, d'une synthèse centripète de l'empirique. Le cogito initial n'est pas un cogito fermé, ni „ein kleines Endchen Welt”, mais le début d'une métaphysique de l'être concret. L'ascension à Dieu en est d'ailleurs une illustration évidente. Jusqu'ici Thévenaz se sait en parfait accord avec Descartes, mais il ne veut plus le suivre quand celui-ci retombe dans le substantialisme du „res cogitans”, le rationalisme étant la condamnation même de sa position géniale initiale. Il recourra au contraire aux philosophes de l'analyse reflexive en France : Maine de Biran, Bergson et Lagneau, qui reprennent et approfondissent la vision primitive de Descartes en montrant que le sujet n'est pas une substance, mais une activité, qui se crée et se dilate grâce à un processus d'intériorisation remontant à sa source créatrice. Cette réflexion ne crée aucune distance, mais se fait en contact immédiat avec le corps propre, le monde et Dieu. Elle reste cependant continuellement menacée par le penchant naturel de l'homme vers l'objectivation. Ainsi nous en arrivons à entrevoir la position de Thévenaz. Comme la phénoménologie, il considère le sujet comme un être historique en dialogue continuel avec le monde et autrui. Ce dialogue est le tissu de l'être concret. Contre la phénoménologie et avec l'analyse reflexive, il nie l'intentionnalité comme structure unique de la raison. Une réflexion sans dédoublement çst au contraire active dans cette intentionnalité même et rend le sujet concret et intentionnel immédiatement présent à lui-même. Cependant cette réflexion ne nous met nullement en contact avec l'être absolu et en soi, comme le propose l'analyse reflexive. La vérité atteinte n'est qu'une vérité humaine, parce que la raison se sait en condition, sans cesse menacée comme elle l'est par l'accusation irréfutable de saint Paul