Abstract
Vivre avec la douleur neuropathique chronique lorsqu’elle est prise en charge par la stimulation de la moelle épinière (SME), laquelle est un type de technologie de neuromodulation, est une expérience dans laquelle différents vécus s’enchevêtrent. En m’appuyant sur le travail de terrain de type ethnographique que j’ai mené dans un hôpital néerlandais en 2012, je mobilise un cadre phénoménologique pour m’intéresser aux trois dimensions entrelacées qui constituent un tel vécu. Rendre compte de ce que signifie vivre avec la SME ne peut se faire sans prendre en considération les expériences antérieures avec la douleur neuropathique chronique et avec la douleur neuropathique chronique prise en charge par des médicaments analgésiques. Si elles appartiennent a priori au passé, ces expériences sous-tendent ce qui peut être envisagé, et ce qui est craint, dans le présent et le futur. Alors que la douleur neuropathique chronique et la douleur neuropathique chronique prise en charge par des antalgiques perturbent l’intentionnalité corporelle de celles et ceux qui en font l’expérience (“je ne peux pas”), la SME est vécue comme une “reconstruction du monde,” lequel est, cette fois, défini par “je peux.” Un tel accomplissement n’est cependant ni aisé ni absolu. Au contraire, il exige qu’une attention soutenue soit portée au corps et à ses sensations. De même, bien vivre avec la douleur neuropathique chronique prise en charge par la SME demande un “travail de désenchevêtrement” (Oudshoorn, 2020) vis-à-vis d’autres objets technologiques potentiellement dangereux et vis-à-vis du regard des autres. “Je peux / je ne peux pas” n’est pas un trait du corps douloureux uniquement; il est aussi lié aux effets invalidants de l’environnement sociomatériel, lesquels font émerger des “inadaptations / inadapté.e.s” (Garland-Thomson, 2011).