Abstract
Dans cette contribution, nous nous penchons sur la figure du bonheur paradoxal qui, dans les "Rêveries du promeneur solitaire" de Rousseau, se définit au sein d’un jeu de tensions multiples. Si le bonheur exige la solitude, il est toujours hanté par l’altérité ; si sa source est en soi-même, il ne cesse toutefois de dépendre de circonstances contingentes ; et si, enfin, il s’éprouve tout entier dans le sentiment, il s’agit pourtant d’un sentiment augmenté d’un caractère réfléchi ou, pour mieux dire, redoublé dans le souvenir que retrace l’écriture. Dans tous les cas, ces antinomies du bonheur – sur lesquelles nous reviendrons longuement plus loin – s’enracinent dans une marqueterie de références dont l’hétérogénéité est l’expression d’un dialogue tendu au sein duquel, comme nous souhaiterions d’abord le montrer, la philosophie morale des Anciens se réinvente en adoptant le langage, éminemment moderne, du sentiment.