Abstract
La conception de la relation sexuelle chez les anciens Grecs est dominée, selon Brisson, par l’opposition entre le rôle actif de l’homme et le rôle passif de la femme. Ils ne reconnaissaient pas l’opposition entre l’homosexualité et l’hétérosexualité considérées comme des états permanents et exclusifs, mais reconnaissaient seulement les cas d’homosexualité dans l’inversion des rôles actif et passif assignés à l’homme et à la femme. L’homme homosexuel était celui qui jouait le rôle passif en se maquillant et en se travestissant, et la femme homosexuelle était celle qui jouait le rôle actif en se comportant comme un homme, en faisant du sport, par exemple. La bisexualité devenait ainsi homosexualité non pas dans la possession d’un organe sexuel ou d’un autre, ni même dans l’expérience de tel ou tel type de plaisir, mais dans le jeu des rôles actif ou passif qui définissaient l’homme et la femme. Ces rôles étaient transposés sur le plan social. Être un homme, c’était pour les Anciens, être un guerrier; être une femme, c’était être une épouse et une mère. Le refus de ces rôles sociaux chez l’homme comme chez la femme entraînait des doutes sur la possession effective du sexe biologique. Mais la bisexualité, une fois distinguée de l’homosexualité, portait en elle une idée très importante: celle du désir d’une fusion permanente qui se trouve impliqué dans toute relation amoureuse de nature hétérosexuelle ou homosexuelle. Comme cette fusion permanente entre deux corps est impossible, elle ne pouvait être atteinte qu’au niveau de l’âme, de sorte que l’individu devait s’identifier à un objet spirituel qui devenait l’objet suprême de son amour. C’est ce qui se passe dans le discours de Socrate qui suit celui d’Aristophane et qui, sous l’inspiration de Diotime, montre que l’immortalité ne passe plus par l’union des corps qui assure la survivance de l’espèce humaine, mais par l’union de l’âme avec un principe immatériel asexué. De plus, Brisson fait observer que les mythes anciens placent à l’origine des dieux, de l’univers et de l’homme des êtres bisexués qui se situent au-delà de toute distinction ou séparation entre les sexes opposés et qui assurent dans l’origine de tous les êtres, l’unité des contraires. Comme dans le mythe du Phénix, la bisexualité permet d’assurer la survie et la résurrection par autogénération. Par ailleurs, pour penser le rapport entre ces deux pôles, on doit supposer l’existence d’intermédiaires qui vont tantôt d’un côté et tantôt de l’autre. Un tel intermédiaire est assimilé à un daimon dans le discours de Diotime et l’on en trouve la figure mythique chez le devin Tirésias qui change de sexe au cours de son existence.