Abstract
À l’œuvre proprement philosophique de Maine de Biran, il faut ajouter l’écriture d’un Journal (quatre Cahiers) dont le projet lui est inspiré par le vœu de J.-J. Rousseau (au livre IX des Confessions) de fonder une « morale sensitive » ou « Matérialisme du sage ». Le « Christophe Colomb du monde intérieur » y applique « le baromètre à son âme », note les avancées et reculades de sa pensée, consigne non seulement les variations atmosphériques et leurs effets sur sa sensibilité, mais aussi les « brouillards de son âme », les emplois de son temps, les troubles politiques, les traces de ses lectures. Dans cette confession sans progrès, interminable comme le moi lui-même, se dévoilent en premier lieu les vicissitudes d’une existence dont le sentiment excède le moi de l’effort : ni plus ni moins empirique que le « Je » de l’effort philosophique, le « Je » du Journal est menacé d’aliénation, heureuse ou malheureuse, traversé par une vie mobile et fuyante, celle d’un corps affectif que l’effort n’atteint pas, et dont la mélancolie biranienne signe tout à la fois le symptôme, le mal et le remède.