Abstract
Depuis sa première réception en France, l’œuvre de Nietzsche n’a cessé d’y cons-tituer une référence forte, devenue centrale au cours des années soixante. S’impose alors ce que Vincent Descombes appellera d’ailleurs le moment français de Nietzsche, illustré par une généralisation de la mise à distance interprétative des catégories philosophiques, morales et politiques de la modernité. Mais d’une façon qui peut sembler paradoxale, la méthode nietzschéenne fut souvent mise au service de l’idéal émancipateur moderne. Les années quatre-vingt virent l’émergence d’une réévaluation libérale et humaniste des présupposés de ce nietzschéisme français. L’analyse de Brigitte Krulic s’inscrit dans cette révision critique en appelant à une lecture tocquevillienne de Nietzsche, par quoi il faut entendre une analyse de son œuvre qui rende compte de sa situation historique et morale intermédiaire, entre l’âge aristocratique et l’âge démocratique. Référence à Tocqueville qui passe en réalité par la médiation de Louis Dumont, dont Krulic prolonge ici les thèses développées dans Homo æqualis II. L’Idéologie allemande, sur l’adaptation complexe de la pensée allemande à la modernité: l’éloge nietzschéen de la hiérarchie illustrerait à son tour un entre-deux problématique entre la sortie individualiste de la tradition et un arrière-plan holiste.